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19 janvier 2015 1 19 /01 /janvier /2015 22:42

Dire que j'ai failli vendre ma maison pour habiter en ville ! Un si joli petit appartement...

 

Un clavecin trépigne à l’étage au dessus.

Trépigne plusieurs heures par jour, car ma voisine est concertiste. Récente, la voisine, heureusement.

Je vais boire un verre de lait tiède à la fleur d’oranger ( il parait que ça calme)

Les vitres de la cuisine me semblent tressauter, mais c’est probablement une illusion dûe à mon énervement. Ce bruit m’exproprie. J’arpente l’appartement comme un couloir de métro, sans parvenir à me poser.

Merde, j’ai un roman à écrire, moi, et ce fichu clavecin me vrille la cervelle, s’insinue dans mes oreilles sans défense… Ça dissout pour des journées entières le plus petit embryon d’idée.

Depuis des jours et des jours, je guette le moment où cela va s’arrêter. A onze heures ce matin, j’ai eu une lueur d’espoir : silence.

Silence.

Mais au moment précis où je posais les mains sur mon clavier, l’autre, là-haut, posait ses mains sur son clavier, et… le duel était inégal !

Très correcte, par ailleurs, elle ne joue que dans les horaires légaux, bien sûr. Exclusivement du Rameau.

Du Rameau !

Je hais Rameau.

Hier, j’ai constaté que l’expression «  ça me donne des boutons » n’était pas une simple formule langagière. Les petits talons rageurs de l’instrument venaient juste de briser la quiétude d’un café-canapé-revue littéraire-chat ronronnant, j’ai vu mes mains et mes poignets se couvrir de points rouges et j’ai commencé à me gratter. Le soir, le chat n’osait plus me regarder et je miaulais d’irritation.

Je hais le clavecin.

Il n’y a que seize jours qu’elle est installée avec son engin. Et quinze jours que je cherche désespérément une solution.

Mais désespérément.

Je ne me sens pas de force à la tuer, j’ai le remord trop facile.

J’imagine qu’il est impossible d’empêcher une concertiste de répéter ( répéter !) dans la journée.

Trouver un autre appartement ? Dénicher celui-ci m’a demandé trop de temps pour envisager sereinement de déménager.

J’ai même renoncé à mon roman ! Mais il y va de ma survie mentale.

Ce matin, j’ai fracassé ma radio : Cecilia Bartoli crissait du Rameau. Rameau, je ne peux plus ! Je me suis retrouvée pétrissant le chat terrorisé. Mes cheveux commencent à tomber par poignées. Je ne dors plus. Dans ma gorge, un hurlement reste coincé, horizontal, ce qui n’est pas la position normale d’un hurlement. Mes boules Quiès roulent dans tout l’appartement tant je tremble.

Même lorsqu’elle ne joue pas c’est l’enfer : j’attends. J’attends le grelottement métallique abhorré.

Je n’ai plus qu’une idée : faire cesser ce supplice. Tous les expédients pour l’inciter à renoncer, même les plus hasardeux me paraissent dignes d’examen.

J’erre dans les rues en quête d’apaisement.

La rue vibrionne, palpite, halète. Une bande de petits loubards de douze ans se fait courser par deux flics à sifflet, et là, j’ai l’illumination.

C’est sensible, les artistes. Ça a besoin de se sentir compris, apprécié…

Je ne vais pas rater un seul de ses concerts désormais. Munie de mon instrument, je me découvre soudain une âme de virtuose impatiente de s’exprimer.

L’avantage, c’est qu’il n’est pas nécessaire de se plier à un long apprentissage pour jouer du sifflet.

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 Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde  où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.
  • J'écris pour regagner en largeur ce que ma vie perd en longueur... Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.

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