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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 11:53

 

Elle est à genoux par terre devant lui.
D'un seul geste elle enserre les jambes de Mathieu et pose sa tête, ses longs cheveux cascadent le long des tibias maigres ; elle est si démunie, si enfantine, la main de Mathieu inévitablement lui caresse la tête.
Elle lève les yeux vers lui. Il lui sourit. Elle ferme les yeux. Il attend quelques secondes et se dégage doucement
— Il faut que j'aille faire les courses.
— Non, attends, on est bien...
— Mais ça va fermer, et il n'y a même plus de pain...
— Ça ne fait rien, on ira manger au restaurant.

Il réprime un soupir.
Calcule que le restaurant ce soir et demain … même pas possible de faire des sandwichs, des tartines, puisqu'il n'y a pas de pain.
Il a beau inspecter les placards, rien : un vieux paquet de pâtes où quinze spaghettis s'ennuient, un pot de moutarde, du thé à demi répandu dans les assiettes, des miettes de biscottes, d'autres miettes inidentifiables, de la poussière...
— Mais qu'est-ce que tu as fait toute cette semaine ?
— Je me suis occupée de Raja... et j'ai pensé à toi !
— Et tu n'as pas fait de courses ? Qu'est-ce que tu as mangé ?
Elle s'allonge dans l'herbe.
— Oh, il restait des pommes...
Le soleil descend derrière la montagne, s'attarde sur elle et creuse joliment ses fossettes. Elle s'étire et lui dit :
— Viens...
Il vient.

Des photos dans toute la maison. Sur tous les murs. Raja l'étalon et Jenny. En noir et en couleur.
Dans un grand faitout, le mash qu'elle ira lui donner tout à l'heure.
Mathieu n'a pas encore défait sa valise. Le décalage horaire lui donne vaguement mal au cœur.
Il peste contre ce boulot de merde qui l'envoie aux quatre coins du monde installer des usines de merde, prendre des avions de merde alors que les travaux ici n'avancent pas et qu'il n'aura pas de congés avant que le froid ne s'installe...
Est-ce que Jenny a réussi à agrafer la laine de liège sur la volige ? Il grimpe dans le grenier. Une branche du cerisier racle les ardoises, il faudrait l'élaguer...
— Tu n'es pas arrivée à te servir de l'agrafeuse ?
— J'ai pas eu le temps.
— Pas eu le temps ?
Les yeux de Jennyfer papillottent joliment et se baissent. Elle a de très longs cils.
— Ben... non...
Mathieu a une brève pensée pour sa mère, bricoleuse indomptable. Pour sa sœur.
Pour toutes les femmes de sa famille, en fait, toutes si débrouillardes qu'il a longtemps pensé qu'il avait deux mains gauches, comme son père.
Il envisage un instant de les appeler à la rescousse, puis décide qu'il y arrivera bien tout seul. Au moins, Jenny ne risque pas d'éclater de rire en le voyant se servir des outils.
Avec les heures supplémentaires qu'il vient de faire, il va pouvoir payer les radiateurs. Il faut juste calfeutrer le grenier, tant pis s'il ne peut l'aménager que dans quelques mois...
Pour l'instant il a cinq jours de repos avant de repartir.
Un gros coup de pompe, tout d'un coup ! Une envie de se glisser sous la couette, de faire l'amour et de flemmarder
Il pense à la chance qu'il a : cette fille si belle, si douce, qui l'attend patiemment et lui dit qu'elle l'aime à chacun de ses retours...
— Mathieu ?
Elle a un ton joyeux.
—J'ai trouvé une selle sur Internet, une super occasion.
— Hé, mais ce mois-ci, c'est pas possible, tu sais bien, la priorité, c'est les radiateurs  !
— Ben trop tard, fallait sauter dessus ; tu penses, j'ai pas hésité !
— Mais t'es folle, combien tu l'as payée ?
— Pas cher, huit cents euros.
— Mais t'es dingue, on était déjà à découvert, là j'arrive juste à combler et toi...
Elle bat des ailes avec ses mains :

—  Mais c'est pas grave...   Du moment qu'on est heureux !

 

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commentaires

G
C'est juste presque parfait... Tu sais quoi ? J'ai ajouté une petite musique de Stephan Eicher, dans le lointain.
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 Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde  où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.
  • J'écris pour regagner en largeur ce que ma vie perd en longueur... Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.

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