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9 janvier 2016 6 09 /01 /janvier /2016 10:25
En bonne bricoleuse, je recycle, je rajoute,... je bricole, quoi !

Faudrait apprendre à être riches... ou alors être un lapin nain.

Lui : Prénom : Pascal.

L’âge du Christ, comme il dit.

Brun, bouclé dégarni. Marié, sans enthousiasme ni enfant.

Employé à l’atelier réparation de la jardinerie Vertplant.

Une barre profonde entre les sourcils depuis qu’il a contracté cet emprunt sur trente ans.

Les dents qui avancent un peu (jeune, il trouvait que ça lui donnait l’air conquérant).

Pas de passion. Aucun vice, tout au plus quelques manies désagréables comme de faire pouêt pouêt aux très jeunes filles en s’exclamant : « mais dis donc, ça pousse ! » et d’ajouter pour mettre les parents de son côté « ça va faire une sacrée belle fille, celle-là ! »

Elle : Corinne, 28 ans ex-majorette devenue potelée.

Très soucieuse de faire ce qu’il faut quand il faut, elle attend avec impatience une première grossesse. Ces cinq années de mariage « pour rien » lui paraissent légèrement honteuses. Elle investit énormément son intérieur, qui ressemble a une maison-témoin, briquée nickel, déco « Femme Actuelle ».

Corinne se vit comme une femme épanouie, entre son mari, son boulot d’Atsem, l’aquagym et Pinpin, son lapin nain.

Une femme épanouie qui s’ennuierait un peu…

Le lieu : la périphérie d’une petite ville endormie.

Ils ont vérifié vingt fois le numéro, chiffre par chiffre, à haute voix, l’un dictant, l’autre barrant le chiffre adéquat.

C’était dur à croire. Ils riaient, comme d’une blague un peu cochonne. Avaient des éclats d’espoir vite réprimés. Commençaient des phrases par « si… », puis, vite : « non, non, attendons de voir … » A tout hasard, ils ont fait une photocopie.

Quand le buraliste a confirmé, ils se sont regardés, assommés. Sans rien dire, ils sont rentrés chez eux.

− Putain, ça gagne trois millions d’euro et c’est même pas fichu de payer un coup a grincé le patron.

C’était le mois d’avril, il n’avait pas plu depuis trois semaines et la température était anormalement élevée.

Corinne et Pascal avaient sagement opté pour la discrétion. Mais la discrétion d’une petite ville endormie est comparable à l’étanchéité d’une passoire. A l’exception du buraliste, personne n’était censé savoir. Et les rues bruissaient comme une peupleraie sous le vent.

« Qu’est-ce qu’ils vont faire de tout cet argent ? » « Ça serait moi, je saurais bien quoi en faire, tiens ! » « Combien ils ont touché, au juste ? » « A mon avis, ils vont pas rester ici »

« Tu les as vus, toi, depuis ? » « Alors ? »

Cet « Alors » était symptomatique. On avait vraiment envie de dire « alors ? », avec une certaine impatience même.

Car rien ne filtrait des intentions des heureux gagnants du pactole.

Ils avaient juste pris un congé. S’étaient bouclés chez eux.

Corinne passait le plus clair de son temps à l’étage, à trier des photos, ce qu’elle n’avait pas réussi à faire ces cinq dernières années. Il était urgent de s’en occuper.

Pascal en profitait pour avaler tous les programmes télé proscrits pas son épouse. Il n’avait pas changé de maillot de corps depuis la confirmation officielle.

Pinpin mangeait tristement ses crottes.

Plusieurs jours passèrent dans cette bulle isolante : ce n’était pas l’argent qui la générait, mais seulement l’idée de l’argent.

Comment éviter l’intrusion du monde extérieur ?

Vint le moment où la mère de Corinne, étonnée de n’avoir pas de nouvelles de fifille…

Où papa Pascal…

Où Monsieur Rentard, banquier…

Où la copine d’aquagym…

Bien entendu, ces raisons parfaitement légitimes inquiétèrent fort notre petit couple. Ils sortirent de leur stupeur et en vinrent même à se parler.

− Les rats envahissent le navire dit sombrement Pascal.

Corinne s’abstint de lui faire remarquer qu’on utilise généralement les rats dans l’autre sens : l’heure était trop grave pour perdre son temps en arguties.

Ils décidèrent d’accorder une entrevue au banquier afin de régler de menus détails, et s’y préparèrent sur Internet, s’initiant aux arcanes des placements boursiers, découvrant les joies de l’actionnariat, les subtilités du second marché.

L’adage : « acheter au son des canons, vendre au son des violons » plut beaucoup à Corinne qui avait l’oreille musicale.

Pascal, lui, se préoccupait de la pérennité de la galette : la versatilité des marchés l’inquiétait et il penchait plutôt vers l’investissement immobilier.

Son père, tentant de le conseiller, se vit rabrouer d’un « t’as jamais été fichu de mettre trois sous de côté, alors viens pas la ramener ! »

Le remords, toutefois, lui fit vite regretter cette dureté et il offrit une Rolex à son vieux papa. Pour solde de tout compte.

Corinne ne dit rien. Mais elle réprouvait cette générosité. Non par avarice : simplement elle redoutait une disproportion. Elle n’aurait pas su dire dans quel sens.

Quand on a beaucoup d’argent, il est difficile d’imaginer comment s’évalue un cadeau.

Elle résolut le problème en s’abstenant d’en faire : pour rien au monde elle n’aurait voulu humilier son entourage par ses largesses. Ou que sa mesure la fit paraître radine.

De peur de déceler l’envie dans les yeux de leurs proches − ce qui les eût beaucoup peinés − Pascal et Corinne se firent lointains. Sans rompre vraiment les ponts, ils éludèrent les invitations.

Une modeste propriété à une centaine de kilomètres, dotée de hauts murs d’enceinte les séduisit ; ils se firent mettre sur liste rouge et poussèrent un soupir de soulagement :

− Génial : ici personne ne nous connaît ; on va pouvoir commencer à vivre.

La phrase surprit Corinne un instant, mais elle approuva.

De quoi avaient-ils envie ?

Ils passèrent de nombreuses soirées à faire des listes, qu’ils se soumirent, en époux soudés devant l’adversité. Une commune volonté de ne pas étaler leur argent les ramena à l’essentiel : ils engagèrent une nurse pour Pinpin.

Laquelle, férue d’hygiène, le fit bientôt crever en balayant ses crottes avant qu’il pût les avaler.

Pinpin II succéda à Pinpin. Mais cette fois, Corinne le choisit blanc et angora, avec une fourrure qui n’aurait pas l’air de lapin, standing oblige.

La nurse congédiée, Pinpin bis mangea ses crottes comme tout lapin qui se respecte.

Corinne − qui avait maintenant du temps pour l’observer − fut d’abord horrifiée ; elle crut avoir affaire à un lapin pervers, mais internet consulté la rassura : cette bizarrerie de la nature qui oblige le lapin à déféquer en deux temps bien distincts et à déguster le produit de sa première exonération − sous peine d’y laisser sa peau − était bien partagée par toute la communauté lapinesque.

Elle en fut soulagée, car elle s’était déjà attachée à l’animal.

Pascal passait toujours ses après midi devant la télé, en se grattant sous son maillot de corps beige. Ayant suggéré une sortie, qui aurait appelé un changement de dessous, Corinne fut éberluée de s’entendre répondre

− La propreté, c’est social. Et moi, maintenant, la société, je l’emmerde. Point barre.

Elle n’osa pas lui dire qu’il commençait à sentir mauvais, mais nota qu’il ne se lavait plus que le strict minimum, et encore, pas en entier.

Elle réalisa que les nouveaux paramètres introduits dans leur vie par ce gros lot n’allaient pas dans le sens de ses rêves : désormais, le soir, elle s’attardait longuement aux cabinets, attendant que Pascal soit endormi pour se couler à ses côtés (dans la journée elle était tranquille, il n’envisageait jamais la chose hors du lit.) et pleurer ses rêves de bébés.

Tout bien réfléchi, elle acheta un deuxième lapin, pour tenir compagnie à Pinpin, une petite femelle toute mignonne, qu'un accès d'humour inattendu lui fit baptiser Pipine. Elle leur fit aménager une "nursery", où désormais, toute fondante, elle passa un temps marieantoinesque à observer les ébats de ses lapinous.

Quand Pipine s'arrondit, elle en pleura. Elle surveillait le nid et dès la naissance, elle traîna Pascal devant l'attendrissant spectacle, qu'il contempla d'un œil distrait.

Il sentait un peu la litière. Corinne en plein émoi lui sauta au cou. Il eût l'air surpris, ses dents avancèrent, il retrouva sa superbe de jadis et là, à même le sol, il aima sa femme. Ce qui n'était pas advenu depuis... quand on aime on compte pas !

Corinne, béate, sut d'instinct que cette fois-ci serait la bonne : son homme baisait vraiment comme un lapin !

Le bébé naîtrait pour Pâques, ce qui représentait évidemment un heureux présage.

Pascal attendait avec impatience la révélation échographique, répétant comme un mantra :« chez les Lejas, on fait que des mâles »

Sa femme s'en fichait : elle fabriquait ses hormones chorioniques avec un bonheur têtu qui excluait toute possibilité d'être déçue.

Afin d'éviter de la fatiguer, ils décidèrent d'engager une bonne.

Grosse affaire! Il fallait définir des critères. La base allait de soi : Propreté, Ponctualité, Honnêteté.

Les deux premiers s'évaluent facilement. Le troisième, c'est déjà plus coton !

Sans compter les bonnes manières...

Les aspirations de Corinne oscillaient entre le majordome anglais et la mama sudiste.

Ils convoquèrent plusieurs candidates ; le même jour, pour bien comparer.

La veille, Corinne nettoya à fond toute la maison.

- C'est idiot fit remarquer Pascal. Mais Corinne avait sa fierté.

La première prétendante fut éconduite illico : la ceinture de son jean bâillait sur un string vert pomme incompatible avec un ménage bien fait.

La suivante approchait de la retraite.

La troisième avait quatre enfants.

Le vocabulaire châtié et le ton aristocratique de la dernière témoignait de ses états de service dans une très bonne maison. Elle fit forte impression.

Pascal, flatté par sa façon de dire « Monsieur » ( on entendait la majuscule) pencha pour un essai.

- T'as pas l'air emballée... Elle est bien, non ?

- Oui, je ne dis pas...

- Mais enfin qu'est-ce que t'as Corinne ?

Cette assurance, cette autorité...J'veux une bonne, pas un prof !

Corinne avait qu'elle retrouvait des angoisses de veille d'examen.

Elle fut recalée.

Le printemps avançait TGV. Il fallait trouver une solution.

En faisant des courses pour la future petite Lejas (c'était finalement une fille, tant pis pour Pascal !) elle entra en collision avec sa copine Nathalie.

Et dire qu'elle avait pensé que Nathalie serait jalouse !...Elles se tombèrent mutuellement dans les bras.

- Nath !

- Eh !... T'as grossi, dis donc !

Mine de circonstance, main sur l'arrondi.

- ...Hé, mais c'est génial ! C'est trop sympa : la fortune, le bébé, t'es comblée, ma vieille ! J'suis contente pour toi, tu l'as bien mérité !

(Mérité ? Elle faisait allusion à Pascal ?)

- Et toi, qu'est-ce que tu deviens ?

- Oh moi...ça va... moyen : je vais être au chômage...

L'idée de l'embaucher traversa l'esprit de Corinne. Avec Nathalie au moins, elle serait à l'aise.

Enfin... pas tant que ça.

- Oh, ma pauvre !

- Ça doit drôlement simplifier la vie, d'être riche …

« Ça c'est sûr » eut du mal à sortir ; mais Corinne était une battante.

Elle rentra avec un malaise indéfini et une montagne de vêtements d'enfant – ceci ne compensant pas tout à fait cela.

Tout en rangeant soigneusement la petite garde-robe, elle se demandait ce qui clochait : rien n'était comme elle l'avait espéré.

L'argent ne suffisait pas : il aurait fallu le mode d'emploi.

Pascal en avait trouvé un : une splendide indifférence aux regards extérieurs qu'il compensait par d'agressives générosités. Il était entré dans sa phase digestive : il rotait sa fortune.

Corinne, elle, n'arrivait pas à l'avaler.

Un coach, un entraînement intensif...Ça devait bien exister ? Chaque matin la trouvait plus incertaine, plus inhibée.

Pascal, qui avait le réveil triomphant, en était agacé. Aussi fut-il agréablement surpris de l'entendre chantonner en beurrant ses tartines ce jeudi matin

- T'es bien guillerette ?

- J'ai rêvé que je gagnais à la loterie !

- C'était pas la peine de rêver !

Le sourire de Corinne s'effaça progressivement

- Ah, oui, c'est vrai...

Pendant ce temps, les lapins, pas si crétins, continuaient à trier entre les crottes bonnes à manger et les autres.

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 Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde  où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.
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