Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 mai 2010 7 30 /05 /mai /2010 15:45


J'ignorais que la terre attendît de se changer de nouveau en tombe,4493176273_550953b2a5.jpg quelques brèves journées plus tard.
J'ignorais que l'ombre transparente des toiles d'araignées du grenier prendrait une telle importance dans ma vie - et dans ma mort peut-être.
J'ignorais que tout ceci n'était pas un jeu.
On venait d'enterrer mon chien Malone, et je partis dans les sentiers.
Si le ciel du cirque de Mafate revient en boucle dans ma mémoire étonnée, c'est que jamais rien de plus splendide ne s'imprima sur ma rétine éblouie que ton corps adolescent, jailli en découpage sur son bleu.

J'ai gardé comme une douleur la ligne légère de tes seins et la chaleur de ton regard.
Je t'évoque, lointaine comme ces photos sépia qui ornent le couloir mélancolique.

Je délaisse le tumulte agaçant des invités éméchés  criant " la mariée, la mariée", et vais une fois de plus scruter ma pâleur au-dessus du livide lavabo de ma chambre.
 

C'était un temps déraisonnable, je n'aimais rien plus que ton sillage et lorsque tu m'invitais à tes fêtes, j'allais, j'écoutais les merles, et les merles me sifflaient, comme pour m'avertir que j' y perdrais des plumes.

Je me saoulais de ton odeur ; le sang que tu me prélevais avait un goût d'offrande.

Je nous voyais enlacées dans la moiteur verte, tu fermais mes yeux de longs fils d'araignée et je mourais, et je mourais, ta peau noire dorait ma blancheur, et je mourais encore...
Je me souviens des chants des tiens lorsqu'ils portèrent ton corps, et de l'éclat de glace qui me fractura.

Je courus pour recueillir un peu du sang qui gouttait sur la terre apeurée, et je mangeai terre et sang afin de te demeurer liée.
Dans mon grenier de France, je monte aujourd'hui chercher les fils transparents pour refermer mes yeux.

 

Sur le mur délabré,
Un motif de lumière

Je me souviens de toi, je me souviens de toi
Je ne me souviens plus de ce qui nous tua.

Partager cet article
Repost0
23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 10:52

... même si ça paie pas.

 

Donc :  " c'est pas parce qu'une chatte met ses petits au monde dans un four qu'on peut les appeler des gâteaux" c'est une phrase que j'ai empruntée à ma petite soeur, y'a longtemps. Avant même qu'elle fasse ses gâteaux bretons.

Merci à elle. pour les gâteaux et pour la phrase !

 

Partager cet article
Repost0
16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 18:40

2498164382_0e2c0ab45c.jpgAu risque de vous décevoir, je vais vous faire un aveu : je suis pas une vraie bretonne. Je suis une hors-venue, arrivée ici y'a pas longtemps : en 69, même pas 1869, non, non 1969… On ne  considère plus vraiment comme une touriste, d'accord. Mais c'est tout juste.

J'ai eu beau  essayer de me faire pousser une bigoudène, c'est comme les menhirs, c'est long : pas plus d'un millimètre par an et encore…quand il pleut assez.

Vous allez me dire " ben en Bretagne…" avec un petit sourire narquois. Et bien non, justement ; c'est un mythe à l'usage des touristes, pour les décourager ( Nos autonomistes ont essayé de refiler le tuyau aux Corses, avec lesquels on a des affinités mais trop tard, leur légende de beau temps était déjà bien trop ancrée, il a fallu qu'ils trouvent autre chose. Remarquez, ils sont suffisamment inventifs…).

Et pis mon nom. A l'oral ça peut faire illusion : Gratteseque, ça va pas mal avec Le Pensec, Leroydec, tout ça. Enfin, c'est ce que je pensais. Mais non : c'est le Q qui va pas. Moi, ça ne m'avait jamais gênée, je le trouvais même assez mignon, mon Q, mais le Q, c'est pas breton, aurait fallu un C ou un G. Au fond, c'est vrai : Soizig ou Soizic ça va , mais Soizique !

Et en plus, je ne parle pas gallo. Je parle trop, mais pas gallo. Alors forcément,je ne suis pas  vraiment assimilée. Comme dit ma voisine, pour me consoler  :  pensez donc Clotilde, même moi qui suis ici depuis trois générations…

La Bretagne, c'est granitique. On y pousse ses racines profond. Mais faut du temps.

Vous allez me demander : et d'où vous êtes alors?

Je serai bien embêtée pour vous répondre. Je suis née à un endroit, j'ai vécu dans six ou sept autres… suis-je de celui où je suis née (mais que je connais à peine…) de celui que je préfère, de celui où je suis restée le plus longtemps ?

C'est un problème. On a vite fait de n'être de nulle part. SPF  : sans pays fixe. Par les temps qui courent,  c'est la cata ; parce que si vous ne pouvez être avec personne pour taper sur ceux qui ne sont pas du même coin… ça manque foutrement de convivialité ! Et qui est-ce qui va garder les traditions, hein ? Parce que, on a beau dire : les traditions, y'a que ça pour faire l'authenticité d'un pays.

Donc, forcément : pour se faire assimiler, on va faire de la surenchère, être plus régionaliste que les autochtones. Mettre ses mômes à l'école libre. (Je me rappelle la déception de Chloé quand elle a appris qu'aller à l'école libre ne signifiait pas être libre d'aller à l'école…)

 

Alors je dis que je suis globalement bretonne.

Après tout, c'est pas parce qu'une chatte met ses petits au monde dans un four qu'on peut les appeler des gâteaux…

 

Partager cet article
Repost0
16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 16:31

Je vous ai déjà parlé de Léonie Colin alias Sylvette Heurtel.  Avec beaucoup  d'éloges, d'admiration non feinte.

 Ben là c'est carrément de l'envie ! Pas l'envie noire, hargneuse, mesquine ( quand même, vous me connaissez !)

 Mais de l'envie de faire aussi bien. Parce que ce petit recueil de Contes malpolis, non seulement il est beau, mais  dedans il y a des textes élégants, cruels, grinçants, tendres... Une écriture jamais relâchée, presque coquette parfois, sans adjectifs superflus,( et pourtant il y en a des adjectifs ! Mais toujours indispensables là, justement).

Des contes modernes où les chaperons en bottes de daim font  du sport de combat et où les mères grand retrouvent les "babies" noires avec bride sur le cou-de-pied de leur enfance...

Je n'ai malheureusement pas pu assister à la soirée organisée par Henry des Abbayes à l'occasion de la sortie du livre, mais j'en ai grand regret, et je vous invite à aller voir sur le blog de Léonie Colin pour avoir autant de regrets que moi.

Non mais sans blague  y'a pas de raison que je sois toute seule à pester dans mon coin !

 

Et n'oubliez pas de commander ces Contes malpolis (quoique question polissage, il y a publicité mensongère : ils sont polis à la main, je vous le garantis !) 

Partager cet article
Repost0
9 mai 2010 7 09 /05 /mai /2010 23:46

Ma modestie fait déjà la grimace, elle a deviné que je vais la mettre à rude épreuve !

Ben oui, que voulez-vous : je vais bientôt crisser. Sur papier  et tout. Mais je ne vous en dis pas trop tout de suite : j'attends d'avoir l'objet.

Les  objets, plus exactement. Parce qu'en plus du recueil  (où je ne figure que pour un treizième), je vais avoir un texte dans la revue Les Muses à tremplin, et là, c'est un bis !

Mais chut ! Ce n'est pas encore sorti !

Partager cet article
Repost0
2 mai 2010 7 02 /05 /mai /2010 23:01

Vendredi dernier, dans une petite commune des  Côtes d'Armor, un ours  comme vous et moi  a fait siffler les oreilles de  Jim Harrison.

Il s'appelle Alain Emery. Il est nouvelliste. Il a tout lu et il sait en parler.

J'ai juste un peu poussé à la roue, et il n'est pas besoin de pousser beaucoup, il démarre au quart de tour quand il s'agit de nouvelles.

Marina, à la bibliothèque de Ploüer sur Rance, organisait une rencontre sur ce thème .  D'admirations en amitiés, de fil numérique en pots de confiture ( comment ça, "version soft du pot de vin" ?!!), de suggestions en rencontres, ça s'est fait,  Alain Emery  a  fait un panorama des auteurs de nouvelles à travers le temps et les continents, avec  mention spéciale pour Jim Harrisson et Giono.

Sylvette Heurtel, dont le recueil " contes malpolis" vient de sortir,  dédicaçait son livre

(et je le recommande :

- à tous les parents qui n'en peuvent plus de lire des contes  à leurs enfants,

- aux futurs parents parce qu'il est toujours bon de prendre de l'avance,

- aux anciens parents parce qu'il n'est jamais mauvais de s'aiguiser les canines au cas où,

- et aux enfants, mais en cachette car ce n'est pas pour eux !)

Yvonne Le Meur Rollet était venue en voisine et amie. Ce n'était pas une soirée cultureuse chic ou universitaire. C'était une soirée avec des gens passionnés par un genre littéraire, qu'on dit à tort en déclin : il me semble au contraire que la nouvelle  se porte de mieux en mieux. Elle correspond  à l'époque où il faut tout faire vite : en quelques pages, dans une épure, vous avez un concentré de vie. Le monde  dans une tête d'épingle. La Littérature dans un petit bled paumé. Jim Harrisson qui  se touche l'oreille.

Et un grand moment de bonheur.

 

Partager cet article
Repost0
29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 23:07

 

 

Elle l'avait trouvé là, sur le bord de la route, la braguette ouverte, près du vieux saule où il venait pisser tous les matins. Il avait les yeux fixes, un filet de sang séché sous le nez et la moitié de la figure violette. Ça s'était brouillé dans sa tête, et elle était restée un long moment immobile, à le regarder, juste arrêtée.

Peut-être une demi-heure. Ou plus, va savoir.

2996670631_63869f41e6.jpgElle n'était ni triste ni rien. Trois pensées flottaient vaguement : "Faudrait le couvrir. J'ai pas ouvert aux chèvres. C'te fois, je vais la descendre, la route."

Le soleil commençait à chauffer, et les bêlements des chèvres la remirent en mouvement, mince silhouette aux gestes efficaces, à la tête absente. Elle tourna le dos au corps, remonta vers la maison.

Le soleil tapait exactement comme le matin où elle était arrivée, allumant un miroir mobile sur l'abreuvoir. Le vieux avait garé la camionnette dans le sentier sous le potager et elle se souvenait de l'étonnement ressenti : la route s'arrêtait là, trente mètres plus haut que la maison, comme désemparée, entre les touffes d'orties et les fagots empilés.

Jamais elle n'avait pensé qu'une route pouvait se terminer quelque part.

Ça donnait froid.

Le trajet n'avait pas duré, une heure et demie tout au plus, entre la DASS et cette ferme assise au creux du dernier virage. La montagne continuait un peu, sur son élan, un gros bois sombre alourdissait sa crête.

C'était tout ce qu'elle avait vu d'abord : ça s'arrête ici. Elle avait seize ans.

 Bah, ce serait toujours mieux que la DASS ; au moins, elle avait été choisie. Parce qu'elle était robuste et travailleuse et que Marthe était malade. Le vieux lui avait expliqué tout ça  en détail pendant le trajet. Elle avait à peu près compris.

Mais à peine arrivée, une envie panique de repartir l'avait saisie ; elle n'avait pas pris le temps de regarder Marthe, silhouette  floue dans l'ombre de l'auvent, et elle avait filé sur le chemin, empêtrée de son bagage.

Même en courant longtemps, on se trouvait toujours sous la ferme, à cause des lacets. Cette fois-là, le vieux n'avait pas essayé de la rattraper.

Au bout d'un gros moment, elle avait cessé de courir, juste marché, en pleurant vaguement, elle ne savait plus pourquoi.

Et puis les chèvres étaient arrivées, se détachant des talus, fruits cornus déboulant vers elle. L'une d'elles avait deux cabris, ciselés et luisants dans le soleil, elle était tombée amoureuse de ces deux là, plus encore que des autres, et c'est en les suivant qu'elle avait rebroussé chemin jusqu'à la ferme, découvrant la beauté partout où les chèvres s'arrêtaient, la tête légère de nouveau.

C'était un bon endroit. Tant pis si la route s'arrêtait.

Le plus petit chevreau,  qui avait à peine des bourgeons de cornes, les poussait contre ses jambes, joueur, et Josy s'était sentie adoptée.

Sous l'auvent, Marthe et le vieux la regardaient remonter la route,  la main du vieux avait effleuré brièvement la nuque de Marthe : "Ça ira, t'en fais pas…" et il avait crié : "Tant que t'es en bas, donne donc un seau d'eau aux poules."

Josy, docile, avait trouvé le bout d'un long enchaînement de gestes simples.
La maison lui avait plu, coiffée bas, ramassée, protégée par les trois peupliers que le vieux avait plantés vingt ans plus tôt pour pomper l'humidité du terrain irrigué par une source.

 

Elle leva le nez, essayant de retrouver son regard neuf. Elle avait d'abord été frappée par le perron, sous l'auvent duquel Marthe passait ses bonnes heures, quand elle en avait. Un endroit où faire son nid. Marthe, noire et blanche.

On ne sait pas comment on arrive à aimer quelqu'un. Parfois, on ne sait pas aimer du tout, on n'a jamais eu de modèle ; l'envie est là, mais  tellement menacée par le risque d'être dédaignée…

Les sourires effarouchaient Josy, trop proches des moqueries qui l'avaient si souvent exclue. Elle ne s'était donc pas émue de l'absence de sourire de bienvenue ; d'emblée elle avait aimé Marthe, ses yeux sombres qui vous regardaient sans ciller, presque sans voir, avec cet appel muet porteur de promesses. Ces yeux-là ne se moquaient pas d'elle et c'était déjà beaucoup. Pour une fois elle allait pouvoir être utile, elle l'avait senti.

Marthe avait détourné la tête, et s'appuyant sur la rambarde pour rentrer, avait dit au vieux : "Elle a les mêmes cheveux." Le vieux avait regardé Josy longuement.

− Tu sais traire ?

Comment aurait-elle su ?

Apprendre avait été plus difficile que prévu : persuadée de leur faire  mal, elle n'osait pas tirer sur les tétins des chèvres, qui dansaient nerveusement sur place, impatientées de sa maladresse.

− Renvoie-la, disait Marthe, elle lui ressemble trop.

− On a besoin d'elle, disait le vieux. Laisse-lui le temps, elle apprendra… Et celle-ci ne partira pas.

Et Marthe pleurait.

Josy avait aimé Marthe. Marthe ne l'avait pas aimée. Le vieux tentait opiniâtrement de faire le trait d'union. Il était plutôt gentil, en général. Sauf lorsqu'elle fuguait.

De grands déluges de désespoir la saisissaient, périodiquement. Surtout au moment de ses règles. Elle avait vite été reprise par son idée de partir, son désir d'une route menant à l'horizon, à un endroit où elle serait enfin à sa place. Marcher interminablement ; rencontrer des chèvres ou quelqu'un d'aussi amitieux. Quelqu'un qu'elle ne décevrait pas.

Elle avait porté à Marthe des fraises des bois, des fleurs brillantes, des images découpées dans une vieille revue trouvée aux cabinets, du lait tout chaud, encore plein de bulles. Elle avait essayé de trouver le bon coussin, la couverture la plus moelleuse, d'installer Marthe à la place où le soleil donnait au vallon une douceur lumineuse. Elle avait tenté de raconter des histoires sur les chèvres, sur… elle ne savait qu'inventer, son pauvre esprit vite asséché ; elle avait un peu parlé d'elle. Et faute d'avoir suscité la moindre lueur d'intérêt, elle revenait à l'image de la route, promesse éternelle d'un futur. A n'importe quelle heure, son sac de plastique accroché au côté, elle prenait la route, courant  maladroitement, avec les pieds qui partaient dans tous les sens, armée de son seul besoin d'être heureuse.

Le vieux l'appelait, courait derrière elle. Une fois, au début, elle l'avait mené ainsi durant deux kilomètres. Tout essoufflé, il lui parlait. Ses arguments n'avaient pas atteint le cerveau de Josy, c'était trop dur. Comprendre qu'elle ne serait jamais Anna. Marthe s'était tellement rongée depuis le départ de sa fille que la maladie n'avait eu qu'à se lover dans ce trou.

Confusément, elle savait bien, Josy, que chacun veut forcer la réalité à ressembler à son rêve, plutôt que de jouir de ce qu'elle offre, mais les mots n'ajoutaient rien, servaient plutôt à embrouiller. Les mots qui fixaient intolérablement le malheur au lieu de le laisser dans une indécision vivable. Le vieux ne s'en était pas rendu compte et plein d'espoir, disait : " Tu vas revenir ; à force, elle finira par te prendre pour Anna, elle a de moins en moins sa tête…"

Elle obéissait, mais refusait de coucher dans la maison, allait dormir avec les chèvres qui ne  lui faisaient pas de peine. Ne la comparaient pas. Ne lui demandaient pas de comprendre des choses difficiles.

Très vite, sa présence à la ferme du Saule s'était ébruitée – (sans doute le facteur), et quelques jeunes gars avaient eu la curiosité de monter voir si elle était aussi bien que ça.

Elle était.

Vraiment.

Futée, non. Mais justement, ce serait commode. Il suffirait de lui dire quelques mots gentils, de lui offrir quelques babioles… Elle avait l'émerveillement facile : la barrette bleue pailletée que Manuel lui avait offerte  avait emporté ses réticences. Il avait aussi un rire étincelant et une façon de dire : "Ma petite Josy" en penchant un peu la tête…Quelle frayeur lorsque le vieux les avait découverts dans la grange ! Il hurlait, au point que Manuel s'était sauvé sans rien dire, caillassé par l'ancêtre, qui visait juste, le salaud ! Josy, recroquevillée, attendait les coups. Il l'avait secouée, ses yeux d'orage la foudroyaient, il lui semblait immense, terrible ; pourtant il ne l'avait pas battue ; seulement ces mots :

"Petite pute…" Elle avait pleuré longtemps. Ça non plus, ça  ne s'adressait pas à elle. Ils ne seraient jamais sa famille.

 

Recouvrir le vieux. Un drap. La maison s'était agrandie de silence. Elle fouilla au plus haut de l'armoire, avec crainte et jubilation. Il y avait encore des piles de linge neuf. Les draps de Marthe.

Tant que Marthe avait vécu, le vieux ne l'avait jamais touchée, bien sûr. Marthe était tout son horizon. Après… Il l'avait fourrée dans son lit un soir où le chagrin avait frotté trop fort son cuir pourtant rude et où Josy, incapable de supporter un autre malheur que le sien, lui avait posé une main sur l'épaule.

Ça ne lui avait pas déplu,  à la petite. Depuis si longtemps, elle était en manque de chaleur.

Ça ne lui aurait pas déplu si les caresses n'avaient pas ouvert la voie aux coups. Qui suivaient de façon aléatoire. Jamais le vieux ne prononçait son prénom. La chaleur, jamais, n'allait plus loin que les draps. Il s'en voulait trop : l'impression de trahir Marthe.

Le vieux n'avait plus qu'elle, autant dire rien.

Et elle, Josy, qu'avait-elle ?

Elle se sauvait. Il la repérait tôt ou tard dans un lacet, prenait la camionnette, la rattrapait. Sans ménagements, il l'enfournait dedans. Elle n'opposait aucune protestation. Parfois, s'il avait bu, il la frappait, dents serrées sur des phrases machinales, réminiscences caduques :

" Tu vas pas encore partir, petite salope ! T'as pensé à ta mère ?" comme un reste de rancœur qui n'arrivait pas à tarir.

Josy pleurait de ces coups qui frappaient son inexistence. Elle s'asseyait sur la route chaude, se berçait, mains aux genoux, regardait la pente pour se consoler : la route ne s'arrêtait là que dans un sens.

Jamais le vieux ne la laisserait descendre jusqu'au village qu'elle avait entr'aperçu quatre ans plus tôt. Jamais elle ne se lasserait d'essayer.

Heureusement il y avait les chèvres. Libres d'aller et venir, elles accouraient dès que Josy les appelait, et si leurs pupilles rectangulaires ne reflétaient guère de sentiments, leurs corps joyeux l'emplissaient  d'un élan vital contagieux.

 

Tandis qu'elle  regardait le troupeau se déverser dans le vallon, une idée, laborieusement, essayait d'émerger dans sa tête vide : le vieux, mort, la maison… Il fallait prévenir.

Il lui appartenait de décider quand.

C'était étrange de se trouver maîtresse de la place, libre d'aller dans toutes les pièces, dans tous les sanctuaires. A pas furtifs, elle osa monter ouvrir la chambre du haut. Un des premiers posters des Beatles, icône incongrue, ornait le mur au-dessus du lit étroit. Elle s'allongea un instant, pour voir. Rien. Cette pièce était inanimée depuis longtemps. Les rêves d'Anna s'en étaient échappés. Le lit, pourtant, était fait, prêt à son retour.

Un temps suspendu s'écoulait, frange incertaine de toute-puissance passagère.

Le vieux mort, Josy essayait d'imaginer les conséquences : est-ce que, maintenant, Anna allait refaire la route en sens inverse, revenir, s'arrêter ici ?

Elle décida de partir sans rien dire à personne : comme si elle laissait une chance à Anna.

Dans la cuisine, elle but un peu de lait. Pour la route.

 

La bourre des peupliers avait étendu une molle couverture blanchâtre sur le bitume. Josy considéra le vieux, murmura doucement : "Louis…", le borda avec soin dans un grand drap raide. Tout un pan de sa vie se détachait d'elle, se délivrait. Elle cueillit une marguerite, la planta dans ses cheveux et partit, les mains vides, légère. Un petit souffle coula soudain du flanc de la montagne, imprimant un mouvement à la nappe de bourre. On eut dit que la route se mettait à courir.

Josy  en fut heureuse. Elle ne s'arrêterait plus.

Partager cet article
Repost0
4 avril 2010 7 04 /04 /avril /2010 00:19

 

 

 

 

On est vendredi, elle est belle et je suis fatigué.

Le vendredi soir, le patron du  bistrot  sort ses vieux vinyles. Fatigués  eux aussi.

Elle a une robe qui fronce un peu juste sous les seins, on dirait qu'elle a ramassé des pommes. Je pense à Cézanne ; cette fille me fait penser à Cézanne, et pas à la Sainte Victoire.

Mais elle est plutôt branchée art contemporain, voire même conceptuel, m'a-t-elle dit.

− Tu bois quoi, je lui demande ?

Une moue ravissante et son œil s'éclaire :

− Une eau de mer, je peux ?

− Une eau de mer et un cognac, Gégé, s'il te plaît.

Derrière son comptoir, il lève le pouce et met Tom Waits. Le bar s'emplit d'une sensualité palpable.
Elle boit un truc au curaçao bleu, ses yeux bleus font des vagues  et j'ai le regard qui s'embarque. Je suis fatigué, mais qu'est-ce qu'elle est belle !

Je pense aux pouces qu'il faut pour sculpter un corps comme ça, mes paumes retrouvent presque des sensations oubliées de glaise glissante.

La petite sirène n'a pas de prénom, et j'ai oublié le sien.

− T'as le même prénom que la petite sirène, je lui dis.

Elle me regarde, incrédule.
Je lui prends la main, et le verre qui est dedans. Je goûte.  Ça pétille bleu, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais rien à côté de ses yeux.

J'appareillerais bien direct.

L'expérience fait son boulot, j'enchaîne sur des trucs passionnants :

4327738702_5aec793f23.jpg

− Alors, t'es en Arts Plastiques ?

Elle n'en revient encore pas. Ca se sent au ton détaché qu'elle prend pour jouer la fille blasée.

− Ouais. Tu sais, c'est juste une longue patience.

Une longue patience ! Tu parles si je connais. En première année, faut tout  déconstruire, ils ne savent même pas regarder… J'ai adoré leur apprendre. Surtout quand elles ont cette silhouette.

Je la regarde. Il faut aussi écouter, je me souviens. Dommage.

Avec un air sérieux, elle me parle de Boltanski, qui lui a ouvert des horizons : depuis  "Réserve", elle conserve toutes ses vieilles fringues.

Là, j'ai un gros coup de pompe.
Je crois que l'Art  fatigue.

 

Partager cet article
Repost0
20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 21:45
J'ouvre ton huis
j'ouvre ton lit
je viens lire dans tes cheveux
ce parfum qui me clôt les yeux
à chaque page de tes nuits

Ferme sur moi
ronce et rocaille
la grotte chaude de tes bras
je me ferai sable
sous toi
frappé du sceau de notre intaille

Glissons ensemble
vers la source
épicée de la bête douce
dont la faim nous creuse les reins

Quand la bourrasque nous secoue
drapés de sel
dans les embruns
l'un à l'autre
l'éclair nous cloue
Partager cet article
Repost0
9 février 2010 2 09 /02 /février /2010 22:19

Saint Valentin, dans la vitrine

Du rouge satin qui dégouline

Un grand frisson, tiens, ça crachine

Allez, au taf, c'est la débine!

 

Saint Valentin, comme des machines

" Mon gros lapin" l'amour lamine

"Hé, machin, tu m'payes une bibine ?

Tu peux m'appeler comme ta copine."

 

Février, v'là saint Valentin

Et les  solitudes qui radinent

C'est la période où les tapins

Au ripolin se r'font la mine

Se demandant au petit matin

C'est quand, dis, la saint Valentine ?


Du rouge satin qui dégouline
Café cafard, tiens ça crachine,
Allez, au taf, c'est la routine... 
 

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Coline Dé
  • : J'écris pour regagner en largeur ce que ma vie perd en longueur...
  • Contact

Profil

  • Coline Dé
  • J'écris pour regagner en largeur ce que ma vie perd en longueur...
 Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde  où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.
  • J'écris pour regagner en largeur ce que ma vie perd en longueur... Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.

Recherche